Lors des courses au large, les navigateurs n’ont pas seulement à affronter les mers démontées, la solitude et les cargos. Un de leur plus gros challenge est de faire face à la restriction sévère de sommeil. En ultra-trail, sans aller jusqu’aux extrêmes privations des marins pratiquant la course au large, cela peut aussi être un problème. L’épreuve dure moins longtemps qu’en mer mais l’effort physique y est plus important que sur un bateau et, souvent, on ne dort pas du tout pendant une voire deux nuits. Il convient donc de ne pas négliger ce paramètre de la performance. Quelle sont les conséquences de la privation totale de sommeil, comment s’y préparer et comment faire face à un besoin impérieux de sommeil, voilà les thèmes abordés dans cet article.
Quelle sont les conséquences du manque de sommeil
D’une façon générale, les effets principaux du manque de sommeil sont plus d’ordre psychologique et cognitif que physiologique. Ceci renforce l’idée selon laquelle le sommeil est principalement utile au cerveau mais les conséquences en sont tout aussi terribles sur le résultat des épreuves d’ultra.
Tout d’abord, l’effort est perçu comme plus difficile dès le début de la course. Or, partir avec un niveau de perception de l’effort inhabituellement élevé conduit à une performance détériorée dans les sports d’endurance. On note aussi des perturbations de l’humeur, des difficultés attentionnelles, des troubles visuels allant jusqu’aux hallucinations, une désorientation spatio-temporelle, etc. Enfin, le manque de sommeil entraîne une altération des aptitudes cognitives qui peut vous amener à faire des erreurs, par exemple de stratégie alimentaire ou matérielle, voire de parcours. Sur le Tor des Géants 2011, le vainqueur aurait dormi 3 fois 10 minutes de sommeil sur les 75 h de son périple…avant d’être disqualifié pour s’être trompé de route dans la dernière heure, sans aucun doute par manque de lucidité.
L’effet de la privation de sommeil sur la performance varie entre les individus. Certains ne parviennent plus à rien dès qu’il leur manque quelques heures de sommeil et d’autres résistent plutôt bien. Dans une étude, une nuit de sommeil a été imposée à un groupe de cobayes : ceux qui étaient le plus vulnérables la première fois sur un test d’évaluation des aptitudes cognitives, l’étaient aussi la seconde. Des résultats similaires ont été trouvés en ce qui concerne la perception subjective de son état de fatigue et le temps de réaction. A tel point que l’on parle désormais de « trototype » pour désigner la capacité de certaines personnes à mieux résister que d’autres à la privation de sommeil. Même si on ne sait pas si la dégradation des performances physiques est aussi reproductible, cela pourrait être décisif en ultra. Contentons-nous pour l’instant de parler au conditionnel.
Actuellement, on ne sait même pas si être petit dormeur au quotidien est un atout pour les efforts qui nécessitent une privation de sommeil. On aurait naturellement tendance à le penser mais rien ne permet de le dire avec certitude. De même, on ne sait pas si un entraînement à la privation de sommeil (par exemple les personnes qui font des gardes à l’hôpital) rend plus résistant au manque de sommeil. Par contre, contrairement à ce que l’on pourrait penser, les personnes âgées ne semblent pas plus sensibles au manque de sommeil. Voici une bonne nouvelle pour les coureurs vétérans, nombreux en ultra.
Comment se préparer au manque de sommeil
Que peut-on faire pour optimiser son sommeil en course et réduire les effets de la privation Tout d’abord, en amont de l’épreuve, on doit se poser la question des stratégies de sommeil préparatoire. Est-il important de s’habituer à ne pas dormir dans les semaines voire les mois qui précèdent l’épreuve C’est dangereux car pendant tout ce temps, on ne sera pas efficace à l’entraînement et les adaptations de l’organisme se feront moins bien. On risque alors de tomber en phase de surentraînement. Et dans les jours qui précèdent Faut-il se mettre en condition course, c’est-à-dire peu dormir La réponse est non.
Sinon, à un moment donné, on est obligé de payer la dette, soit en s’arrêtant dormir, soit en ralentissant ses efforts. S’habituer à ne pas dormir n’est pas non plus une bonne idée dans les jours qui précédent l’épreuve. C’est même l’inverse, il est essentiel de ne pas se présenter sur la ligne départ en dette de sommeil, aussi minime soit-elle. Quand on approche de la course, il est même possible que l’on puisse « stocker » du sommeil. Cette idée provient de rares études qui se sont intéressées à l’effet inverse de la privation de sommeil, c’est-à-dire une augmentation du temps passé au lit.
Par exemple, des chercheurs ont récemment demandé à des cobayes basketteurs de dormir autant que possible avec comme objectif de rester au minimum 10 h couchés par nuit, et cela pendant 7 semaines. Avec succès puisqu’ils dormaient en moyenne presque deux heures de plus chaque nuit. Les résultats étaient assez spectaculaires : amélioration de leur vitesse de sprint, de leur précision au shoot de 9% et de leur temps de réaction. Dans une autre étude, une seule semaine d’extension du sommeil, permettait de meilleures performances cognitives lorsque les cobayes étaient privés de sommeil. Cela permettait aussi une meilleure récupération.
Bref, même si on est loin de l’effort physique de l’ultra, il faut absolument dormir le plus possible la semaine d’avant (la nuit et même en ajoutant des siestes) et minimiser le stress professionnel, familial lié à la course. Par exemple, n’attendez pas le dernier moment pour préparer votre matériel, votre ravitaillement, votre road-book, votre hébergement, etc. Si le stress de la course vous empêche de dormir, respectez les conseils d’hygiène de sommeil classiques (diététique, literie, température de la pièce, éviter un travail intellectuel et les écrans lumineux juste avant d’aller au lit, etc.) et au besoin faites appel à des techniques de respiration et de relaxation . Si le départ est en fin d’après-midi comme à l’UTMB® ou le soir comme à la Réunion, organisez-vous pour pouvoir faire une sieste le jour même du départ.
Que faire pendant la course en terme de sommeil
Il faut bien avouer que ça tâtonne pas mal dans les pelotons à ce niveau. Bien sûr, on va s’inspirer des stratégies de sommeil polyphasique utilisées par les marins mais on ne sait pas bien quand placer ces multiples et courtes périodes de sommeil, ni quelle durée elles doivent avoir. Doit-on essayer de respecter un cycle complet Se faire réveiller avant d’entrer en sommeil lent profond car on sait que le réveil est très difficile à ce stade Même chez les navigateurs, on manque encore sérieusement d’études scientifiques sur le sujet. D’autre part les stratégies diffèrent : certains pratiquent des siestes de 20 minutes au maximum en journée alors que d’autres vont dormir jusqu’à 1 heure en continu. On raisonne encore ici dans un monde parfait alors que toutes ces épreuves se déroulent dehors, souvent dans des conditions météo difficiles (mauvais temps, chaleur) qui vont impacter la décision de s’arrêter de dormir ou de continuer à veiller.
Bref, chacun a son avis sur la meilleure stratégie en ultra sans que l’on sache vraiment qui a raison. Faut-il dormir dès la 1ère nuit ou attendre d’avoir vraiment sommeil Faut-il faire des cycles de sommeil complets (1 h 30) ou se contenter de micro-sommeils Quelle est la durée idéale de ces sommeils flash On n’en sait rien. On peut tout de même avancer les choses suivantes : les périodes les plus difficiles pour rester vigilant (risques de blessures accrus) sont en début d’après-midi et en fin de nuit . C’est aussi là qu’il faudra placer un sommeil flash si vous n’êtes pas en mesure de faire la course entière sans dormir. Schématiquement, pour un coureur qui n’est pas en dette de sommeil au départ, il n’est pas utile de dormir pour les ultra-trails qui durent moins de 30 h ; entre 30 et 45 h, la question se pose et au-delà de 45 h, il est préférable de prévoir un arrêt (plusieurs si la course est beaucoup plus longue) pour dormir.
Soyez à l’écoute de vous-même, inutile de vous forcer à dormir si tout va bien. Inspirez-vous de ce qu’a réalisé Vincent Delebarre, vainqueur du Grand Raid de la Réunion 2006 en s’arrêtant dormir 10 minutes. Il ne l’avait pas prévu avant la course mais a su rester à l’écoute de ses sensations. Sur un UTMB® ou un Grand Raid de la Réunion, une ou deux périodes de sommeil de 20 minutes sont suffisantes, quel que soit le niveau du coureur. Dormir plus longtemps vous expose à un réveil difficile . Ou alors il faut passer sur une durée de 1 h 30, ce qui commence à être vraiment long pour une épreuve de ce type. Ces sommeils flash (ou micro-sommeils) peuvent être testés lors des week-ends chocs
Que faire quand le sommeil vous gagne
Quoi qu’il en soit, si vous choisissez de dormir (ou y êtes forcé par l’épuisement), veillez à être sûr de vous réveiller soit grâce à une alarme forte, soit par quelqu’un de fiable (assistant, bénévole). Certains s’endorment sur le chemin et comptent sur le froid pour les réveiller. Cette stratégie semble hasardeuse. Au contraire, essayez de vous mettre dans les meilleures conditions possibles, c’est-à-dire au chaud. Changez-vous (haut du corps et pieds au sec suffisent) avant si vous le pouvez. En journée, utilisez un masque de sommeil comme ceux distribués dans les avions et des boules Quies s’il y a du bruit autour de vous.
Le petit coup de pompe de la fin de première nuit pourra être encaissé grâce à la prise de caféine. Attention aux substances médicamenteuses effervescentes riches en caféine ou aux boissons énergisantes. Contrairement aux boissons énergétiques, les boissons énergisantes ne sont pas formulées pour répondre aux besoins de l’effort physique. De plus, elles sont trop sucrées et risquent donc d’engendrer des problèmes digestifs. Rien ne sert de vaincre son envie de dormir si elle est remplacée par une envie de vomir !